Les valises de Jean Genet sont à l’IMEC

Mis à jour le 19 septembre 2023
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Temps de lecture : 2 min
Certaines grandes donations s’apparentent à des événements littéraires et donnent lieu à des expositions : Les valises de Jean Genet, présentées à l’IMEC, permettent d’en savoir davantage sur les dernières années de cet écrivain majeur qui, toute sa vie, a cultivé un certain mystère. Elle est à découvrir à l’abbaye d’Ardenne, près de Caen, dès la réouverture des lieux culturels et ce jusqu’au 25 avril.
Les Valises de Jean Genet, une exposition présentée à l'IMEC
Elles sont nombreuses les grandes bibliothèques de France à avoir convoité les valises contenant les derniers écrits répertoriés de Jean Genet, écrivain-poète décédé en 1986. Mais c’est à l’Institut Mémoire de l’Edition Contemporaine (IMEC), au sein de la belle abbaye d’Ardenne, que ces deux bagages en cuir noir et en skaï marron où se trouvaient notes, scénarios et courriers divers sont désormais conservés. Logique pour l’auteur de Notre-Dame des fleurs dont l’écriture et les aventures se sont conjuguées avec une quête de sainteté, lui qui métamorphosait les prisons en église ou chapelle !
Des valises gardées 35 ans
Ces valises, Jean Genet les a données à Roland Dumas 15 jours avant sa mort, précisant « Vous en ferez ce que vous voudrez !». Après les avoir gardées précieusement pendant plus de 35 ans, le célèbre avocat décide, il y a deux ans, d’en faire don à l’IMEC qui possède déjà un riche fonds Genet.
« "Ces valises récapitulent 15 ans de la vie de Genet, de 1967 à 1983. Il a traversé le monde dehors, n’a jamais eu d’appartement, seulement des habitats nomades ou temporaires, comme les prisons, les camps, les hôtels… Elles sont comme son bureau en quelque sorte." »
Albert Dichy, le directeur littéraire de l’IMEC et commissaire de l'exposition
Une expo présentée comme un contenu d’archives
L’exposition qui leur est dédiée met en lumière une part de l’intime et du quotidien de Jean Genet comme les sommes reçues pour ses œuvres, théâtrales notamment, les numéros de téléphone de Jane Fonda ou de Jacques Derrida notés sur des bouts de papier, de courts textes rédigés sur des fragments de journaux, des factures d’hôtels de tous les continents… Au centre, dans une grande et unique vitrine, le tout est versé, dans un léger fouillis organisé, tel un contenu d’archives. En face à face, un mur d’images avec des photos grand format en noir et blanc de l’auteur des Paravents en compagnie des leaders des Black Panthers ou de Marguerite Duras et, en écho, un mur de textes avec des phrases sorties des valises.
Divine surprise
Et parmi cet assemblage hétéroclite deux scénarios, dont un écrit à la demande de David Bowie qui rêvait d’incarner sur grand écran Divine, le travesti magnifique de Notre-Dame des Fleurs. « En 1975, à la demande de Bowie, Genet passe 4 mois à Londres pour cette adaptation qu’il politise en le détachant de la prison. Le film ne verra jamais le jour, le scénario était trop inventif pour le budget. Quoi qu’il en soit, ce texte, qui est une découverte totale, est génial. Les éditions Gallimard réfléchissent à sa publication », conclut Albert Dichy.
À lire : le catalogue de l'exposition
En attendant la réouverture des lieux culturels qui permettront aux visiteurs d’aller admirer Les Valises de Jean Genet, le catalogue de l’exposition offre un bel aperçu de leur contenu. Sur plus de 200 pages, les grands thèmes chers à l’écrivain défilent : de la peine de mort avec le cas Christian Ranucci à la première version d’Un captif amoureux, en passant par un scénario inconnu sur un jeune Marocain venu tenter sa chance à Paris intitulé La nuit venue… Face à la riche iconographie (photos des écrits, comptes, fragments et autres), les transcriptions de certains textes et notes remis dans leur contexte dévoilent au lecteur ce que contiennent les malles d’un écrivain voyageur.
Deux questions à Albert Dichy, commissaire de l’exposition
Que vous a appris le contenu de ces valises que vous ne sachiez déjà ?
Il y a deux histoires dans ces valises. La première est celle d’un homme qui tourne le dos à la littérature pour la politique avec un itinéraire qui le mène auprès des émigrés en France, mais surtout des Black Panthers aux Etats-Unis et des Palestiniens*. On y trouve ainsi des notes prises à chaud dans les ghettos ou les camps. Ce sont des traces vives.
La deuxième histoire se lit dans l’archive même. En 1964, après le suicide de son compagnon, Abdallah, Genet fait vœu de silence et décide de ne plus écrire. Ces valises racontent ce qu’écrit un écrivain qui n’écrit plus. Au bout de 3 ans, le désir revient malgré lui ; il griffonne en permanence, c’est plus fort que lui. C’est une histoire de lutte intime. Peut-être est-ce pour cela qu’il était aussi attaché à ses valises. Il les a donc ramenées du Maroc pour les donner à Roland Dumas car là-bas, leur contenu aurait été dispersé.
*Jean Genet est le premier occidental à entrer dans les camps de Sabra et Chatila, l’un des sujets de son dernier ouvrage "Un captif amoureux".
Y trouve-t-on vraiment les derniers écrits de Jean Genet ?
Il y aura encore des découvertes, notamment des pièces de théâtre qui se sont perdues. Il existe aussi une copieuse correspondance avec un jeune Italien. Les 200 lettres ont cependant disparu, comme beaucoup d’autres. Genet a tout fait pour les disséminer, exception faite du contenu de ses deux valises que nous allons par la suite classé, rangé, catalogué.
Les archives, une mine de papiers
Dirigé par Nathalie Léger, l’Institut Mémoire de l’Edition Contemporaine est le premier centre mondial d’archives éditoriales. Les plus anciennes datent de 1860 mais le cœur de la collection se situe entre la 2e guerre mondiale et notre époque. A titre d’exemple, l'IMEC conserve, sur 1,7 km, les archives de la maison Hachette - fondée en 1826 et 1er éditeur de France - dont le fonds est classé aux Monuments historiques. Plus récemment, Bernard Pivot y a versé ses archives papiers comprenant toutes ses préparations pour les émissions Apostrophe et Bouillon de culture, les manuscrits de ses livres, ses dossiers sur la défense de la langue française, tel que son projet de réforme de l’orthographe ainsi que les archives du magazine Lire qu’il a fondé, et dirigé pendant 20 ans.
« Bien évidemment, la notoriété, l’estime dans laquelle une œuvre est tenue compte. Cependant, nous ne nous basons pas uniquement sur le prestige, histoire de juxtaposer des noms célèbres. Nous pouvons également prendre une œuvre parce qu’elle est le reflet d’une époque ou qu’elle entre en cohérence avec d’autres déjà conservées ici. »
Albert Dichy, directeur littéraire de l’IMEC
Et si on y trouve aussi Céline, Satie, Duras, Radiguet, Vitez, Violette Leduc ou bien encore Colette, la collection ne constitue pas pour autant un catalogue à la Prévert, mais est bel et bien enrichie selon des critères précis. Les plus demandées ? Les archives liées à la philosophie (l’IMEC conserve le disque dur de l’ordinateur de Jacques Derrida), aux sciences humaines, et tout ce qui a trait à la sociologie ou la psychanalyse. Le théâtre n’est pas en reste, les archives de Vitez et Chéreau, par exemple, sont également prisées.
Victime de son succès, l’IMEC fait désormais une sélection plus drastique : seules 20% des propositions de donation sont acceptées. Car même à l’abbaye d’Ardenne, il est difficile de pousser les murs.
Quelques chiffres
- 55 000 ouvrages et documents à la consultation ;
- 30 kilomètres de linéaire d’archives ;
- 720 fonds représentant plus de 44 millions de documents ;
- 530 chercheurs par an, dont 30% d’étrangers venus de 43 pays.
Ardenne, 900 ans d’une abbaye aux champs
Située sur la commune de Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, aux portes de Caen, Ardenne est la troisième grande abbaye de l’agglomération caennaise avec l’Abbaye aux Hommes et l’Abbaye aux Dames. Cette année, la majestueuse Ardenne fête ses 900 ans.
Une légende raconte qu’en 1221, un bourgeois caennais et sa femme ont eu une vision de la Vierge Marie leur ordonnant de construire une chapelle en ce lieu. Après avoir acquis 7 acres de la parcelle nommée "le puit aux Saxons", le couple installe un prieuré. 17 ans plus tard, l’église romane qui a fait suite à la chapelle est consacrée par l’évêque de Bayeux.
En 900 ans, l’abbaye a connu toutes les péripéties de l’Histoire de France, notamment la guerre de Cent Ans (1346-1453) et les guerres de Religion (1562-1598), la Révolution Française, qui chassa les chanoines et revendit les biens à différents propriétaires laïcs, l’Occupation, quand la famille Vico en fit un haut lieu de la Résistance normande… Dévastée, plusieurs fois bombardée mais jamais détruite, l’abbaye d’Ardenne est aujourd’hui plus majestueuse que jamais.
Propriété de la Région, qui y a mené de multiples chantiers de rénovation, l’abbaye est depuis 1998 le siège de l’IMEC. Son abbatiale a été transformée en bibliothèque qui offre aux chercheurs le calme et la sérénité qu’avaient par le passé les bâtiments conventuels, tandis que sa grande cour de ferme et sa grange aux dîmes accueillent manifestations, colloques et expositions. Ainsi, 900 ans après son édification, l’abbaye d’Ardenne est devenue un havre de paix et d’érudition.
Accueil du public en temps de Covid-19
Malgré la pandémie de covid-19 et les nombreuses contraintes sanitaires qui en découlent, elle continue néanmoins actuellement d’accueillir étudiants et chercheurs, français principalement, les voyages internationaux ayant connu un coup d’arrêt depuis mars dernier. Distanciation physique, gel hydro alcoolique et masques y sont bien évidemment de rigueur.
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