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Chanvre textile : l’heure de la reconquête a sonné en Normandie

Opération comptage par Nathalie Revol de LCBio

clock Publié le 14 mai 2023

Abandonnée durant près d’un siècle, la culture du chanvre textile revient en force en Normandie. Il est vrai que cette plante, dont les fibres naturelles sont utilisées dans le textile depuis des siècles, cumule bien des atouts : économique, écologique, multi-usages, elle est également facile et rapide à faire pousser. De quoi convaincre de plus en plus de producteurs et de consommateurs.

A l’heure où l'industrie textile est pointée du doigt comme le secteur le plus polluant de la planète et où la demande pour des matières textiles naturelles et locales ne cesse de croître, l’enjeu est de taille.
L’idée s’impose peu à peu de créer une nouvelle filière chanvre textile en s’appuyant sur les savoir-faire du lin, dont la Normandie est la première productrice mondiale.
Grâce à la ténacité d’une poignée d’acteurs passionnés, les débuts sont prometteurs. L’heure de la reconquête du chanvre a sonné en Normandie.

Henri Pomikal et Nathalie Revol, des précurseurs

Henri Pomikal et Nathalie Revol - Photo Pierre Galliot

Pour Henri Pomikal, liniculteur et cultivateur dans la plaine de Caen, le déclic se produit en 2018 lors d’un voyage en Chine. Il visite une filature qui file à la fois du chanvre et du lin sur les mêmes machines. Cette image lui reste gravée en tête.
En 2019, préoccupé par l‘annonce de la fermeture de la sucrerie de Cagny qui sonne le glas de son activité de betteravier, il rencontre Nathalie Revol lors de la première édition du festival de l’excellence normande Fêno organisé par la Région.
Chargée par l’association Lin et Chanvre Bio (LCBio) de reconstruire une filière chanvre en Normandie, cette militante de la première heure lui vante les mérites du chanvre textile, échantillons de fibres à l’appui.

« Le chanvre ne demande aucun produit phytosanitaire et très peu d’engrais. Il s’autosuffit et laisse le sol propre, il se sème en décalage avec le lin et s’insère parfaitement dans le cycle de rotation du lin. De plus, une mauvaise année pour le lin peut être une bonne année pour le chanvre. »

Nathalie Revol, de l'association Lin et Chanvre Bio

Un miracle de la nature
Henri Pomikal décide de relever le défi. Au printemps 2019, il casse 300 m2 de betteraves pour semer du chanvre. Les résultats sont encourageants. Il décide d’intégrer le programme d’essais de chanvre textile de LCBio. L’année suivante, il passe à la vitesse supérieure en semant 5 hectares de chanvre.

« En tant que liniculteur, je me disais que le chanvre ne valait pas grand chose mais j’avais tort : cette plante est un miracle de la nature. Le plus important est de réussir les semis, après il n’y a plus qu’à attendre que ça pousse ! »

Henri Pomikal, cultivateur dans la plaine de Caen

Lin et Chanvre Bio, une asso qui a la fibre !

Créée en Seine-Maritime en 2013 à l’initiative des producteurs et des transformateurs de lin bio et de chanvre, l’association Lin et Chanvre Bio (LCBio) déploie depuis 2017 des essais de chanvre textile en Normandie, soutenue par l’Agence de l’eau et la Région Normandie. LCBio travaille à la création d’une filière, de l'agriculteur au fabricant de vêtements, en s’appuyant sur le modèle du lin.

Hyler Sativa 200, une machine unique au monde

La Hyler Sativa 200 a fait ses preuves dès la première récolte - Photo Eric Biernacki

"Tous nos essais de culture étaient concluants mais nous avions un problème majeur, il nous manquait la machine adaptée pour le récolter. Car le chanvre pousse jusqu’à deux mètres, beaucoup plus haut que le lin. La première année, on a bricolé à partir de deux faucheuses à lin chinoises et on a réussi à assurer la récolte."

Au hasard d’une rencontre, Henri Pomikal et Niels Baert de l’entreprise Hyler, un constructeur belge de machines pour le lin, évoquent la question du chanvre. L’idée fait rapidement son chemin. Un mois plus tard, Niels présente un prototype sur un plan en 3D. Pour le construire, il faudrait mobiliser 600 000 €. La Coopérative agricole linière du nord de Caen accepte d’en financer 300 000 € et la Région Normandie de prendre en charge l’autre moitié. L’aventure peut continuer.
Livrée début août 2021, quelques jours seulement avant la récolte, la nouvelle Hyler Sativa 200 fait le job. "En l’espace de deux ans, on a réussi à créer quelque chose qui n’existe nulle part dans le monde !"

La plante aux mille vertus

Très résistante aux maladies et aux parasites, le chanvre ne réclame aucun pesticide et se cultive sans entretien de mai à août. C’est une plante "étouffante" qui empêche le développement des mauvaises herbes. Du fait de son réseau racinaire, elle ameublit la terre en profondeur, ce qui est très favorable à la vie des sols.
Tout comme le lin, le chanvre textile (Cannabis sativa) est une bonne alternative aux textiles synthétiques, qui contribuent à la pollution des cours d’eau et des océans, et au coton conventionnel, très consommateur en eau.
Ses fibres solides et biodégradables présentent des atouts indéniables : résistance, qualités thermorégulatrices et écologiques.

D’autres acteurs conquis par le chanvre…

Karim Behlouli, directeur de NatUp Fibres

Karim Behlouli, directeur du pôle Fibres du groupe NatUp, œuvre depuis longtemps pour développer la filière chanvre (technique et textile) en Normandie. Il a notamment porté le projet de la French Filature, chaînon manquant de la filière. Inaugurée en 2022 à Saint-Martin-du-Tilleul (Eure), celle-ci produit du fil de lin et, dans une moindre mesure, de chanvre 100% français, relocalisant un savoir-faire disparu en France depuis près de 20 ans. Un investissement de 4,4 millions d’€ co-financés par NatUp, l’État et la Région Normandie.

Franck Durocher, agriculteur bio à Saint-Gabriel-Brécy

Franck Durocher, agriculteur bio à Saint-Gabriel-Brécy et membre de la Coopérative de Creully, a lui aussi fait partie des premiers essais chanvre de LCBio et teste actuellement une culture de lin d’hiver derrière une culture de chanvre.

Paul Boyer, directeur de la coopérative de textile bio LINportant

Paul Boyer, directeur de la coopérative de textile bio LINportant basée à Evrecy, est également très actif au sein de l’association Lin et Chanvre Bio dont il est le vice-président. Il a participé dès le début aux différents essais réalisés sur le chanvre. Il est convaincu du potentiel de cette "plante fantastique qui fait l’objet d’une demande très importante de la part des marques, des consommateurs et des industriels". Spécialisé dans le tricotage et la confection de vêtements en lin bio, LINportant n’a qu’une envie : compléter à brève échéance ses collections avec des tee-shirts en chanvre normand !

Jean-Charles Tchakirian, fondateur de la marque de jeans Le Gaulois

Jean-Charles Tchakirian, fondateur de la marque de jeans Le Gaulois installée à côté de Lyon, travaille depuis 2019 main dans la main avec l’association LCBio, dont il est adhérent. Il a notamment fabriqué un prototype de jean en chanvre qui a prouvé la faisabilité du process et remporté le prix Coup de cœur 2020 des Trophées de la bioéconomie. Et en novembre 2022, au salon Made in France, il a lancé une prévente de 500 jeans en chanvre made in Normandie. Tout a été vendu en deux jours

Quels défis pour le chanvre demain ?

Même si le nombre de cultivateurs et les superficies plantées en chanvre augmentent de manière exponentielle en Normandie (on est passé de 10 hectares en 2018 à 140 hectares en 2022 et plus de 500 en 2023), de nombreux défis demeurent.
"Aujourd’hui la filière chanvre est bel et bien sur les rails mais la route est encore longue, estime Henri Pomikal. Il faut augmenter les parcs de matériel de teillage et de récolte. Il faut améliorer les outils de travail, les cadences, les rendements et les ratios fibres longues/fibres courtes pour se rapprocher le plus possible des ratios du lin. Il faudra aussi à l’avenir valoriser la chénevotte (paille) dans les matériaux d’écoconstruction et bien sûr garantir la rémunération des agriculteurs."
C’est aussi l’avis de Karim Behlouli, directeur du pôle Fibres du groupe NatUp : "La demande est plus forte que l’offre et les prix s’envolent. Notre principal défi va être de créer un modèle économique qui permette à la fois aux agriculteurs de vivre de leur production et aux filateurs de mettre sur le marché des produits à un prix abordable pour les consommateurs."

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