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"Remember" : les mémoires vivent

"Remember" : les mémoires vivent

Pierre Gagnepain

clock Publié le 10 novembre 2020

Pierre Gagnepain, chercheur en neurosciences, est responsable scientifique du programme Remember. A travers l’imagerie médicale, il étudie l’impact des attentats du 13 novembre 2015 à Paris* sur les cerveaux de 200 volontaires. A Caen, dans les laboratoires de Cyceron.

« Il fallait répondre à la terreur et au terrorisme par la science et les connaissances. »

Pierre Gagnepain

Quelle a été la motivation première de ce travail de recherche ?

Il était important de faire quelque chose de cet événement dramatique, qui a profondément choqué chacun de nous. De répondre à la terreur et au terrorisme par la science et les connaissances, d’en tirer un aspect positif, pour le bien de la communauté. Avec Francis Eustache et Denis Peschanski (voir encadré ci-dessous), notre réponse a été ce programme de recherche. 

N’était-il pas délicat d’entamer un protocole scientifique avec des victimes, quelques mois seulement après les attentats ?

Pour les personnes souffrant d’un traumatisme lié à ce type de drame, il est difficile d’être confronté à la foule, de prendre le train. Nous craignions que ces personnes-là ne veuillent pas venir. Tous les chercheurs impliqués dans le projet ont cependant fait un gros travail pour expliquer l’intérêt de cette étude, notamment pour découvrir de nouvelles pistes de soin. Les associations de victimes, 13onze15 et Life for Paris, ont très vite été convaincues et nous ont soutenus. Les premiers participants venus suivre le protocole ont fait des retours très positifs sur leur expérience. Au final, nous avons pu voir près de 120 personnes exposées aux attaques.
 

Projet 13 novembre

L’historien Denis Peschanski (CNRS) et le neuropsychologue Francis Eustache (INSERM) codirigent le projet de recherche « 13 novembre ».

L’étude Remember est l’un des deux sous-programmes de recherche du Programme 13-Novembre codirigé depuis 2016 par l’historien Denis Peschanski (CNRS) et le neuropsychologue Francis Eustache (INSERM). Sur 10 ans, ces derniers enregistrent à intervalles réguliers les témoignages vidéos de 1 000 volontaires (Etude 1 000) pour comprendre l’impact des chocs traumatiques des attentats ainsi que les mécanismes de la construction de la mémoire individuelle et collective. Parmi ces volontaires, on compte des personnes directement exposées aux attentats, des survivants et proches des victimes, des personnes intervenues sur les lieux le soir des attaques, mais aussi des habitants des quartiers ciblés et des quartiers périphériques de Paris et enfin des personne issues de plusieurs autres villes françaises. Une partie de ces volontaires participent également au projet Remember.

Crédit photo : LP / Olivier Corsan

Quel est le point de départ scientifique de Remember ?

Nous voulions comprendre pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent de stress post-traumatique, alors que d’autres ne développent jamais ce trouble. Il y a très peu d’arguments dans la littérature scientifique pour répondre à cette question. Pour cela, nous sommes focalisés sur le symptôme caractéristique du trouble de stress post-traumatique (TSPT) : les intrusions qui sont des formes de flash-backs faisant revivre aux victimes le souvenir associé aux attentats. C’est extrêmement soudain, intense et douloureux. C’est un vrai handicap au quotidien et de nombreux troubles y sont associés : syndromes d’évitement, troubles du sommeil, crises d’angoisse, etc. 
 

« Les intrusions sont des formes de flash-backs qui font revivre aux victimes le souvenir associé aux attentats. »

Pierre Gagnepain

Le phénomène des intrusions

"C’est un peu comme si le disque de la mémoire était rayé. L’hypothèse émise avec Remember est qu’en plus du problème de mémoire, il y a aussi un problème de capacité à contrôler sa mémoire. Si on poursuit l’analogie avec le disque, le problème est à la fois sur le disque et sur le bras de lecture.


Bloquer une pensée, la chasser pour se concentrer sur autre chose, c’est ce qu’on appelle la suppression. C’est un mécanisme cérébral fondamental, il est très utile dans le bien-être et peut jouer aussi un rôle important dans le développement d’une pathologie mentale. Les travaux appuient l’idée que cette incapacité à contrôler les pensées est au centre de beaucoup de pathologies mentales : les paniques, l’anxiété, les TOC. 


L’idée était d’utiliser une situation complètement expérimentale et inoffensive pour mesurer ces mécanismes de contrôle cérébraux. Nous avons utilisé le paradigme Think/No-think, qui relève de la psychologie expérimentale, chez 120 volontaires exposés, ainsi que 80 personnes non-exposées venant de l’agglomération caennaise. Cette méthode vise à reproduire la présence d’une intrusion, sans faire référence au traumatisme, et grâce aux IRM, on peut observer ce qui se passe dans le cerveau lorsque les gens essaient de la supprimer."

Quels types d’informations avez-vous collectées ?

On a essayé de répondre à un maximum de questions : sur la structure du cerveau, sur la densité de matière grise, sur les faisceaux de matière blanche qui connectent les différentes régions du cerveau, sur la volumétrie de l’hippocampe qui est une région clef pour la mémoire, sur la psychopathologie des personnes. On établit des mesures liées à la psychologie cognitive à travers des tests de mémoire, des tests d’attention. On a défini un protocole assez vaste sur deux jours, qui aborde l’état des personnes sous différents angles.

À ce jour, qu’avez-vous pu observer ? 

On observe sur les IRM que les personnes qui n’ont pas développé de stress post-traumatique (on dit alors qu’ils sont résilients) ont une capacité accrue à venir réguler le fonctionnement de leur mémoire, via les mécanismes de contrôle. À l’inverse, les personnes atteintes de TSPT présentent une connectivité affaiblie suggérant qu’elles n’arrivent pas à freiner l’activité de leur mémoire.

Êtes-vous en capacité de savoir s’il y avait un dysfonctionnement à l’origine ?

C’est la grande question : était-ce pré-existant ou est-ce le résultat du traumatisme ? Nous avons des arguments pour penser que le problème est pré-existant. En fait ces différences qu’on observe entre individus, en termes de capacité à supprimer la mémoire, se constatent déjà chez les sujets sains. On peut supposer, bien que cela reste une hypothèse, que les personnes qui présentent ces difficultés avant le traumatisme auront plus de mal à en contrer les effets sur la santé mentale. 

Comment pourrait-on soigner ce problème ?

Toutes les thérapies et les traitements sont orientés vers le traitement de la mémoire du traumatisme et le fait de réexposer les victimes à leurs peurs et leurs souvenirs, dans l’espoir d’atténuer leur douleur. Ce que nous suggérons avec nos travaux, c’est de traiter le mécanisme de contrôle de la mémoire, ce qui peut se faire sans réexposer les individus à leur traumatisme. C’est un progrès important. Pendant longtemps, le mécanisme de suppression était perçu comme un facteur aggravateur. Nous montrons qu’il n’est pas intrinsèquement mauvais, mais que son dysfonctionnement l’est, et qu’il faut par conséquent le traiter. Mais la mise en place de nouveaux traitements est un travail de longue haleine qui nécessitera d’autres expériences puis d’autres validations scientifiques.

« Pour la communauté scientifique internationale, nos travaux ouvrent de nouvelles perspectives. »

Pierre Gagnepain

Un article publié dans la revue Sciences

En février 2020, Pierre Gagnepain a publié un article dans la prestigieuse revue américaine Sciences. 

"C’était une énorme satisfaction. Toute l’équipe a été extrêmement mobilisée et impliquée et nos tutelles, dont l’INSERM, mais également la Région Normandie, nous ont beaucoup soutenus. Cette publication a donc marqué un point d’étape et permis de rendre la confiance qui nous avait été accordée. Pour la communauté scientifique internationale, nos travaux ouvrent de nouvelles perspectives. Ils remettent en cause certaines idées établies. Jusqu’alors, le traumatisme était essentiellement perçu comme une défaillance de la mémoire, mais pas comme un problème de contrôle de cette dernière."

Le chiffre

 

Entre 60 et 70 projets de recherche sont soutenus chaque année par la Région Normandie et l’Europe.

* Les attentats du 13 novembre 2015 sont une série d’attaques-suicides et de fusillades revendiquée par l’organisation Etat islamique. Perpétrées aux abords du Stade de France, sur plusieurs terrasses des 10 et 11e arrondissement et dans la salle de spectacle du Bataclan, ces attaques ont fait 130 victimes et plus de 400 blessés.

Cycéron, au cœur du plateau scientifique caennais

Cycéron est une plateforme d'imagerie située sur le plateau nord de Caen.

Cycéron est une plateforme d'imagerie située sur le plateau nord de Caen. Depuis sa création en 1985, ce site accueille différents programmes de recherches biomédicales (académiques ou industriels), principalement focalisés sur l’axe cœur-cerveau, les neurosciences cognitives et la cancérologie. Dans un bâtiment de 8000 m2, Cyceron regroupe des laboratoires, des plateformes technologiques et des instruments de pointe. Il héberge également des équipes de recherches, des formations et des entreprises. Pas moins de 260 personnes sont rattachées à ce site de recherche normand qui reçoit, notamment, le soutien de la Région Normandie.

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